"ISORNI UN CONSTRUCTEUR SENSIBLE"
Sur cette toute jeune et charmante galerie de la rue Carnot à Versailles, Pierre Isorni a réuni un ensemble harmonieux de portraits, paysages, natures mortes et surtout de gouaches. En un temps ou tant d'autres multiplient inconsidérément les manifestations spectaculaires, voici un grand discret qui n'avait rien montré depuis son exposition au cercle Volney, en 1956.
C'est dans cette solitude féconde de Seine-Port qu'il a édifié, l'une après l'autre, ses compositions très architecturées, très lumineuses ou il sait tout dire en quelques plans colorés, sans violence, avec un souci de construction qui laisse toujours une place à la tendresse.
René BAROTTE (Exposition Galerie Julliard 1964)
C'est au cœur de Paris, près de la Bourse, dans une vieille maison du XVIIIème siècle, que se trouve l’atelier d’Isorni. En gravissant les degrés, j’évoque tout un passé. Là en effet vécurent la famille Legouvé, le compositeur Paladilhe et George Desvallières, beau-père de notre peintre, qui vit encore. Par ce grand escalier, d'illustres visiteurs sont montés, Houdon, Delacroix, Liszt, Chopin, Berlioz, Gounod et tant d'autres. Tout en haut de cette maison grise, un logis clair et ensoleillé : c'est dans ce cadre aux couleurs vives et harmonieuses que vit, solitaire, Pierre Isorni. Il a trente-cinq ans. Sa forte carrure semble le prédisposer à la lutte, et de sa physionomie se dégage une impression de tranquille résolution. Tout jeune, il commence à dessiner et à peindre. A dix-sept ans, il entre à l'école des beaux-arts qu'il quitte l'année suivante, dégoûté de l'atmosphère et de l'enseignement qu'il y trouve, mais non sans avoir fait un concours de Rome très remarqué. Puis un peu plus tard, il exposera régulièrement au Salon d'Automne jusqu'en 1942 et, en 1941, il obtiendra le Prix Blumenthal.
Il se trace alors un plan de travail dans la solitude, tout en suivant attentivement l'évolution artistique de son temps. Mais ses inspirations sont autres et il se tient à l'écart des expositions et des manifestations officielles. Les toiles que l'on voit aujourd'hui chez lui sont le fruit de ce long et curieux apprentissage. Ici nous sommes à l'opposé, disons-le tout de suite, des recherches tapageuses. Isorni, d'ailleurs s'en explique simplement : "J'avoue, nous dit-il, que je ne cherche pas à suivre la mode, comme cela se voit souvent. Les recherches extrêmes et parfois frelatées dont on nous abreuve nous ont menés dans une sorte d'impasse d'où il faudra bien sortir un jour. On a le droit d'aspirer à voir le peintre affronter sa toile avec plus de probité sans pour cela renoncer à l'esprit d'aventure. Je crois d'ailleurs que les vrais novateurs réprouvent ces fausses audaces. Cette abstraction tant vantée d'aujourd'hui, que ne permet-elle comme tours de passe-passe ! "Pour ma part, nous dit encore le peintre, je m'intéresse surtout à la figure - et je pense toujours à ces visages qui s'inscrivent si fortement dans l'œuvre des grands artistes à travers les siècles et qui aujourd'hui, apparaissent un peu comme des accessoires dans les ouvrages intéressants." Ceci explique bien les peintures qui sont autours de moi : beaucoup de portraits d'une grande intensité d'expression aux couleurs chaudes et assourdies; quelques scènes d'intérieur harmonieuses et calmes ; des compositions dont la noblesse surprend le visiteur ; des natures mortes aussi, savoureuses et solides, ainsi que certains paysages pleins de sensibilités. Dans cet ensemble, je veux noter surtout un nu dont les lignes s'équilibrent en courbes savantes et fort bien venues. Les tons d'émail sont délicats et d'une belle matière : une impression très mystérieuse s'en dégage. Aucune recherche ou idée préconçue dans le choix des sujets. Avec les portraits de sa femme, de ses enfants ou dans ses nus, auxquels viennent aussi s'ajouter des objets simples et familiers, on retrouve ce constant souci de composition et d'humanité qui donne à ses tableaux un aspect si particulier. Peu à peu, la personnalité de l'artiste, aux prises avec le côté le plus âpre et le plus dangereux aussi de la peinture, se dégage attachante et nuancée et nous nous plaisons à augurer pour lui un grand avenir. C'est dire que nous souhaitons voir réapparaître - un jour pas très lointain - dans nos salles d'expositions, Pierre Isorni en pleine possession de son art.
Dominique PALADILHE ("ARTS" 1945)
Peintre français, né à Paris d'une mère parisienne et d'un père originaire du Tessin, Pierre Isorni n'est pas un débutant. Reçu au Salon d'Automne dès 1930,
il obtint, en 1940, une bourse Blumenthal. S'il ne s'est pas fait d'avantage connaître c'est qu'il ne l'a pas voulu. Chose incroyable par les temps qui court, mais rigoureusement vraie, voilà un artiste qui s'est abstenu, depuis bientôt vingt ans, d'attirer sur son œuvre l'attention du public. Si vous me demandiez pourquoi, je n'hésiterai pas à vous étonner de nouveau en vous répondant que ce grand travailleur à magnanimement choisi d'avoir terminé son apprentissage avant de nous inviter à décider, si oui ou non, il est un Maître. Voici donc d'Isorni et dans une salle dont l'ampleur nécessite dangereusement, de la part de qui l'occupe, une envergure égale, la première exposition particulière. Je crois qu'il sortira victorieux de l'épreuve. Il me semble impossible, en effet, que cette peinture de choc et tout ensemble, si l'on y regarde mieux, imprégnée d'âme et de sensibilité fine, que cette peinture virile, franche et audacieuse, et pourtant nuancée, ne vous émeuve pas aussi bien, aussi profondément qu'elle m' a ému, le jour ou un hasard m'en fit faire la découverte. Pierre Isorni sait composé mais on le sent incapable de mentir. Tout comme un abstrait, il pense son tableau, il exige qu'il soit d'abord un harmonieux assemblage d'arabesque de lignes, de volumes, de rythmes, de couleurs cristallines, mélanges sur toile blanche, de ce qui sort du tube de térébenthine, qui jouent à se répondre. Il ne consent pourtant pas à sa métaphore plastique, il respecte l'objet, la chose, l'être. Il ne simplifie pas, il concentre. Il introduit l'esprit dans la matière, l'humain dans le réel. C'est le bon parti qui lui permet de réussir d'admirables portraits, criants de vérité, puis de nous faire participer lyriquement, comme si nous y étions, à l'accomplissement, par exemple du "sacrifice d'Abraham". C'est un peintre complet et pas seulement dans le format de chevalet. Je lui prédirais volontiers un bel avenir dans le vitrail, la tapisserie, la mosaïque. Il y dirait, comme en peinture tout l'essentiel, sans verbiage ni maniérisme, dans la clarté, avec énergie et droiture.
Maximilien GAUTHIER (Exposition du Cercle Volney, avril 1956)